Toute la terre qui nous possède

De Rick Bass – En projet

Déjà il y a ce titre puissant et organique, « Toute la terre qui nous possède », qui ne pouvait que me happer.
Rick Bass était géologue, il est écrivain, et il définit ainsi les deux : chercher, avec très peu d’indices, quelque chose de caché sous la surface, et qui nous dépasse. Et ce roman est à cette dimension : il nous dépasse.
Ce récit est obsédant, hypnotique, érotique, fantastique, « antonionien » et « fellinien ». Il est aussi politique. Il a cette qualité rare (des grands écrivains), de rester dans notre mémoire, dans nos sensations, dans notre imaginaire, longtemps, et créer en nous comme une matière organique qui vit au plus profond de nous même. « Toute la terre qui nous possède » est devenu pour moi un projet de spectacle, un objet mystérieux pour la scène.

Gilbert Rouvière
Metteur en scène

Au sujet du roman

 

Castle Gap figure sur la carte du Texas, on peut aussi en trouver des photos. Mais ces représentations n’égalent pas celle qu’en donne Rick Bass, au seuil de ce superbe roman méditatif, lyrique autant que méticuleux : « Castle Gap se dresse au-dessus des plaines de sarcobate vermiculé tel un mur de roche dénudée édifiée à partir des dépôts de calcaire de la chaude et peu profonde mer permienne, il y a 270 millions d’années. C’était au travers de cette faille érodée entre les larges vallées et le désert que tous les voyageurs étaient attirés – tout d’abord les hommes de l’âge de pierre, puis les Comanches et les Apaches, les Espagnols en quête d’or et d’âmes à convertir […], et plus tard les colons blancs, les meneurs de troupeaux et les convois de chariots qui approvisionnaient ces colons, pour satisfaire leurs caprices ou leurs besoins. » La phrase est lente, dense et puissante, et la description introductive donne le ton, prévient du rythme sur lequel l’écrivain américain va développer son récit – une histoire d’hommes mais tout autant le déploiement d’un espace, comme creusé par la perspective archéologique, géologique, parfois aussi mythologique ou fabuleuse que choisit Rick Bass.

La barrière rocheuse et le lac salé qu’elle surplombe constituent donc le décor dans lequel il installe ses personnages : à la fin du XXe siècle, un géologue affecté au développement des forages pétroliers ; dans les années 1930, un couple, Max et Marie Omo, s’enrichissant et s’épuisant à récolter le sel du lac, et dont le destin croise un jour celui d’un éléphant, formidable masse de chair enlisée dans les dunes… Oui, il existe une poésie de la matière, minérale autant qu’organique, et Rick Bass en est l’un des plus saisissants représentants. Son inspiration, c’est dans la tectonique, les sédiments, l’argile, les traces fossiles qu’une faune engloutie a imprimées dans l’argile, qu’il la puise.

 

Nathalie Crom (Télérama)